Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
9 mai 2011 1 09 /05 /mai /2011 13:41

2.       MAÎTRISER LA PHRASEOLOGIE

 

Si les mots constituent le matériau avec lequel vous habillez les idées, leur usage nécessité évidemment une certaine coupe et un certain style. Votre coupe et votre style, bien sûr. C’est pourquoi une bonne connaissance de la grammaire et de la syntaxe d’une part, et une sélection adroite des mots sont des fondements absolument nécessaires à une bonne expression écrite ou orale.

1.       Grammaire

Tout orateur  ou rédacteur devrait maîtriser correctement la grammaire de la langue qu’il emploie. Si cela n’est pas le cas parce que l’enseignement élémentaire qu’on lui a prodigué à l’école était inadapté, il va devoir améliorer ses bases rapidement. S’il existe des ouvrages de grammaire rédigés pour les écrivains, il est en revanche bien plus difficiles d’en trouver adaptés pour les orateurs.

Bien sûr, la grammaire est la grammaire, et les règles sont censées être les mêmes à l’oral qu’à l’écrit. Pourtant les techniques d’écriture et de prise de parole sont sensiblement différentes. L’écrivain peut sélectionner et modifier les mots à loisir. L’orateur est contraint de se reposer sur des effets rapides et immédiats. Il doit trouver sans avoir le temps d’y réfléchir le mot qui traduira le plus exactement son idée tout en communiquant un sentiment ou une émotion adaptée à sa personnalité, à l’atmosphère du moment, à la qualité de perception de son public. Il lui revient la tâche extrêmement complexe de prononcer un discours éclairant autour d’une idée neuve en des mots colorés.

Le but de l’orateur est d’impressionner le public avec ce qu’il dit plutôt qu’avec comment il le dit. La grammaire doit être automatiquement correcte : il n’a pas le temps de la penser. On peut lui pardonner ici ou là un élan d’enthousiasme provoquant un usage ponctuellement douteux de la syntaxe parce que l’esprit créatif, dans le feu de l’action, l’a considéré comme secondaire face à la force de l’idée à communiquer. Mais cela doit rester l’exception.

Il ne s’agit pas de dire que vous pouvez parler de manière incorrecte, mais de convenir que la force d’une idée et la sincérité de l’orateur peuvent couvrir d’assez nombreuses fautes mineures. Pour autant, si vous avez des lacunes lourdes en grammaire, je ne saurais trop vous enjoindre à entreprendre quelques révisions. Les ouvrages à ce sujet ne manquent pas, même si, je le disais il y a un instant, ils sont souvent plus adaptés à l’écrit qu’à l’oral.

Quelques conseils pratiques cependant pour ceux notamment qui, malgré une maîtrise courante de la langue, continuent de faire quelques erreurs fréquentes, à  l’oral ou à l’écrit. Que surveiller en priorité, et comment améliorer son style verbal ou rédactionnel ?

Utiliser des verbes précis

Première chose : les verbes. Prenez l’habitude d’employer le plus possible des verbes précis, car ils donnent de la nervosité à la phrase et en facilitent la compréhension. Au besoin, faites-vous des listes de verbes d’action dans votre carnet pour améliorer votre style. Ainsi, plutôt que des verbes « flasques » comme « faire », ou « voir », utilisez des verbes comme :

Pour « faire » : « réaliser », « entreprendre », « émettre », « effectuer », « constituer », etc.

Pour « voir » : « déceler », « remarquer », « constater », « analyser », « étudier », etc.

En clair, si vous sentez, dans votre auto-analyse, que vous employez trop souvent un même verbe dont le sens est un peu trop « caméléon », faites sur ce terme un travail de recherche de synonymes comme nous l’avons « vu » -tiens, encore lui ! – au chapitre précédent, et procédez à l’intégration progressive des termes nouveaux pour enrichir votre langage.

Supprimer les expression inutiles

Le discours peut parfois être inutilement alourdi par des expression inutiles qui empêchent l’idée d’accéder directement au public. Ainsi : « Je suis devenu un spécialiste dans le domaine des finances publiques. » Il sera plus simple et plus clair de dire : « Je me suis spécialisé dans les finances publiques » ou « Je suis spécialiste des finances publiques. »

De manière générale, pour prolonger cette idée d’aller au plus simple quand cela favorise une meilleure et plus dense communication de la pensée, il vaut toujours mieux un mot bref, connu de tous et clair, qu’un mot plus long, moins connu et éventuellement ambigu. Par exemple, « vite » est meilleur que « rapidement » ; « sens » est meilleur que « signification » ; « très » est meilleur que le long et douloureux « extrêmement » - il est vrai que de nos jours on le remplace encore par « excessivement », ce qui donne des horreurs.

Evitez aussi les longues périphrases, mais cela devrait diminuer si vous faites le travail suggéré au chapitre précédent sur le vocabulaire. Ainsi, « une somme portée en diminution de mon compte » s’appelle « un débit » : tellement plus clair, plus net et plus simple ! « Ignorer » est plus vif que « Ne pas connaître », etc., etc.

Remplacer les subordonnées relatives

Les subordonnées relatives ne sont pas des erreurs ni des fautes. Elles structurent la langue française et sont très utiles. Mais à l’oral, la meilleure compréhension s’obtient par des phrases courtes et/ou fluides. Alors le plus souvent, mieux vaut remplacer les subordonnées par des noms, des adjectifs qualificatifs, des participes passés, des adjectifs possessifs, des infinitives, voire de simples appositions. La compréhension, même quand ce procédé ne raccourci pas la phrase, est améliorée grâce à la meilleur fluidité de la ligne.

Par exemple :

-          « La dame dont le chien est noir… » devient « La dame au chien noir… » ;

-          « Le dernier voyage que vous avez fait… » devient « Votre dernier voyage… » ;

-          « … dont nous ne sommes pas responsables » devient « … indépendants de notre volonté » ;

-          « Ces lenteurs administratives que nous déplorons… » devient « Ces lenteurs administratives regrettables… » ;

-          « Stéphane Gonzales, qui est un important agent… » devient « Stéphane Gonzales, important agent… » ;

-          « Je ne peux pas vous garantir que cet ouvrage est disponible. » devient « Je ne peux pas vous garantir la disponibilité de cet ouvrage. »

De quelques incorrection fréquentes

Surveillez aussi les pléonasmes : certains sont très fréquents et font sourire, ce qui perturbe votre communication :

-          « Descendre en bas » ;

-          « Monter en haut » ;

-          « Des perspectives d’avenir » ;

-          « Comparer ensemble »…

Ce qui est dit une fois clairement a sans doute besoin d’être répété malgré tout pour être bien assimilé, mais peut-être pas aussi vite.

De même pour les solécismes :

-          « Aller au coiffeur » pour « Aller chez le coiffeur » ;

-          « Partir en Italie » pour « Partir pour l’Italie » ;

-          « A proprement dire » pour « A vrai dire » ou « A proprement parler » ;

-          « Nous sommes placés devant une double alternative : accepter ou refuser » pour « Nous sommes placés devant une alternative : accepter ou refuser » ;

-          « De manière à ce que » pour « De manière que » ;

-          « Lire sur le journal » pour « Lire dans le journal » ;

-          « Pallier à un inconvénient / un problème / une difficulté » pour « Pallier un inconvénient / un problème / une difficultés » ;

-          « Avoir convenu de » pour « Être convenu de » ;

-          « En égard à » pour « Eu égard à » ;

-          « A notre dépens » pour « A nos dépens » ;

-          « Je vous serais gré » pour « Je vous saurais gré »…

Ou encore les barbarismes et anglicismes :

-          « Suite à » pour « A la suite de » ;

-          « Solutionner » pour « Résoudre » ;

-          « La parution d’un livre » pour « La publication d’un livre » ;

-          « Conséquent » pour « Important » ;

-          « Excessivement » pour « Extrêmement » ;

-          « Briefing » pour « Réunion préparatoire » ;

-          « Lasser de » pour « Laisser de » ;

-          « D’avance » pour « Par avance » ;

-          « Par contre » pour « En revanche » ;

-          « Listing » pour « Liste » ou « Fichier »…

Ou enfin les confusions de paronymes :

-          « Effraction » et « Infraction » ;

-          « Acceptation » et « Acception » ;

-          « Incident » et « Accident » ;

-          « Passager » et « Passant » ;

-          « Attention » et « Intention » ;

-          « Notable » et « Notoire »…

Il faudrait également parler :

-          des expressions employées à tort ou à travers, comme « faire long feu » qui signifie « durer le temps d’un éclair », donc, en gros, « ne pas durer », et non l’inverse comme on le croit parfois ;

 

-          des problèmes du genre méconnu de certains mots comme « réglisse »,  « camée », « ail », « apostrophe », « acrostiche » et tant d’autres ;

 

-          du genre très changeant des mots « amour », « orgue » et « délice » qui sont masculins au singulier mais deviennent féminins au pluriel ;

 

-          de la spécificité du mot « gens » qu’on accorde au féminin dans la partie de la phrase qui précède le mot, et au masculin dans la partie qui suit – « Instruites par l’expérience, les vieilles gens sont parfois soupçonneux » ;

 

-          de la particularité du mot « œuvre », féminin quand il désigne un tableau, un livre, une action artistique unique – « La Joconde est l’œuvre la plus célèbre de Léonard de Vinci » - mais masculin quand il désigne l’ensemble des travaux d’un artiste ou l’ensemble des actions d’un politique – « L’œuvre accompli par Alexandre le Grand est un des plus ambitieux, des plus grands et des plus nobles que notre civilisation ait connus » - ;

 

-          de celle du mot « espace », masculin dans le cas général mais féminin aussitôt qu’il désigne, en typographie, l’intervalle entre deux caractères – « il faut rajouter une espace entre ces deux mots » - ;

 

-          rappeler que la locution « après que » appelle l’indicatif et non le subjonctif puisqu’elle précède une action passée donc connue et, partant, certaine, alors que le subjonctif est le temps de l’irréel : « Longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues, » chantait Charles Trenet qui pensait à Jean Cocteau mais qui aurait pu parler de lui.

 

-          Rappeler que « succéder » ne prend pas de « s » à la forme pronominale – « Les examens se sont succédé » - parce qu’on estime qu’ils se succèdent l’un à l’autre.

Pour corriger ou diminuer toutes ces difficultés, deux méthodes existent : soit vous estimez que vous avez un gros travail de fond à effectuer, et vous suivez une formation spécifique sur les difficultés de la langue ou vous achetez un ouvrage de fond sur ce thème ; soit vous savez que vous faites quelque fautes, alors chaque fois que vous rencontrez, dans un journal ou dans un livre une expression correcte que vous avez l’habitude de mal employer, vous la relevez dans votre carnet.

Deux règles fondamentales du bon rédacteur ou orateur

L’expérience m’a enseigné qu’un bon rédacteur respecte notamment deux points clefs :

a)      Placer les pronoms relatifs près de leur sujet :

« Nous rencontrons des problèmes chez nos clients qui sont importants » : Qu’est-ce  qui est important ? Les problèmes ou les clients ? Il faut donc choisir, par exemple, l’une ou l’autre des deux formulations suivantes : « Nous rencontrons d’importants problèmes chez nos clients » ou « Nous rencontrons des problèmes chez nos plus importants clients ». Je vous passe le célèbre « Vente d’un piano par dame professeur de musique avec des pieds sculptés » !

b)      Séparer les idées secondaires par une ponctuation adaptée :

Cette règle suit le principe de la ponctuation écrite. Mais elle est aidée par l’intonation de la voix. Si une ponctuation juste n’est pas respectée, le lecteur peut ne plus comprendre le sens de la phrase, surtout si cette phrase est complexe dans sa structure, longue, et comprend des mots peu clairs. Phrases courtes, simples, genre sujet-verbe-complément, sans « parenthèses » ou sans incises au sein du discours, faciliteront la compréhension de vos idées par le lecteur.

Essayez de lire ce texte à haute voix en marquant la ponctuation pour lui donner sens. Vous prendrez conscience de l’importance de la ponctuation (ici orale) pour donner sens à un discours.

« Au crédit de Jackie il faut reconnaître qu’elle respecta leur gigantesque contrat prénuptial contrairement à lui après la mort de son fils dans un accident d’avion il n’eut qu’un obsession il était persuadé qu’elle avait le malochio le mauvais œil et tenta de l’écarter de son testament elle fut obligée d’utiliser les Kennedy pour menacer la fille d’Ari Christina finalement Christina fut informée que si elle ne s’acquittait pas de sa dette envers Jackie aucun navire de la flotte Onassis n’accosterait plus jamais dans un port américain à Zurich Christina fit un chèque de plus de 20 millions de dollars avant même que l’encre n’ait eu le temps de sécher Jackie lui arracha le chèque des mains pour se venger Christina alerta le fisc juste au cas où Jackie aurait oublié de leur déclarer cet argent sereinement  Jackie obligea ensuite Christina à lui donner l’argent qu’elle devait ainsi reverser aux impôts[2]… »

2.       Sélection des mots

Il existe de très nombreux exemples de textes qui jargonnent à outrance et perdent toute clarté parce qu’ils s’éloignent à l’excès des réalités qu’ils décrivent. Non pas dans un but de recul intellectuel bien senti, mais parce que l’intelligence, quand elle manque, tend à se réfugier dans ce qu’elle croit la grandir : la complexité feinte, qui mime la pensée profonde. Platon était un immense philosophe : son écriture était lumineuse. Certains textes juridiques contemporains sont écrits dans une langue qu’on n’ose à peine appeler française. Et que dire des délires incompréhensibles – parce qu’insensés dans la pleine acception du terme ?

Bref, des phrases courtes, claires, simples sont plus faciles à dire, plus aisées à comprendre, et beaucoup plus fortes. Quand la BBC annonce « La position au regard de la France paraît sérieuse », Churchill déclare à la Chambre des Communes : « Les nouvelles de la France sont très mauvaises ». Concision, force, absence totale d’ambiguïté, sens dramatique : le traitement de l’information, en tout cas pour cette introduction, est évidemment bien meilleure dans la seconde version que dans la première.

L’euphémisme peut souvent être exagéré ou mal compris et détruire un discours. Voilà pourquoi il vaut mieux manier cette forme d’expression avec modération et finesse. Je me souviens d’une conférence sur Erik Satie par une de ses biographes italiennes qui se terminait sur un ton pseudo-poétique par ces mots : « A ce moment-là, Erik n’était déjà plus tout à fait de ce côté de la vie… » Une dame à côté de moi se tourne vers sa fille et lance : « Tu crois qu’il est mort ? »

3.       Sens des mots

Une étude même superficielle de mots révèle que bien peu d’entre eux ont une signification universelle, chaque utilisateur les interprétant différemment en fonction de l’idée qu’il souhaite véhiculer. De telles variations sont introduites par les inflexions de la voix et le contexte du discours. Quand Henry Kissinger parle de « démocratie », il pense à un système où les dirigeants politiques, choisis par les grandes firmes, défendent les intérêts de ces dernières contre l’intérêt général, où l’on joue à la guerre pour conforter les recettes du lobby de l’armement et où l’on s’invente des ennemis monstrueux là où il n’y a en général que des adversaires exsangues. Ce sont les Etats-Unis de Nixon, pas si différents de ceux de Kennedy, de Carter, de Ford, de Bush père, de Clinton ou de Bush fils. Rien à voir avec la notion de démocratie telle que l’entendaient les pères fondateurs de la grande Amérique. Et que dire de la notion française, obsédée par son élection au suffrage universel direct du président de la République ? Quel rapport avec les pays du nord de l’Europe, où la démocratie suppose une réelle participation des citoyens, un véritable contrôle de l’action des dirigeants, la pluralité et la liberté d’une presse non concentrée aux mains de quelques géants de l’industrie de l’armement. Si les anciens Grecs qui, en la matière, pourraient avoir leur mot à dire, revenaient chez nous, ils s’étonneraient de ce que nous avons fait de leur idée. Combien de nos citoyens trouveraient ridicule de désigner nos dirigeants par tirage au sort. Certes, on pourrait tirer au sort un ivrogne, protestaient certains. Oui, mais c’est statistiquement peu probable, rétorquaient les autres. La démocratie telle que nous l’entendons ne procède pas par tirage au sort, il est vrai, mais par élection… Adolf Hitler a été élu « démocratiquement ». Silvio Berlusconi aussi. Georges Bush fils également. Ces trois personnages, qui n’ont rien à voir entre eux, ont-ils gouverné de manière réellement démocratique ?

Quant au « socialisme », s’agit-il toujours de l’appropriation des moyens de production par l’Etat ? Quid de la social-démocratie de la fin du XXe siècle dans les pays nordiques ? Quid du social-libéralisme de Tony Blair dans l’Angleterre de la même époque ? Quid du socialisme allemand après Bad Godesberg ?

Quand on parle de « libéralisme », qu’entend-on ? Une forte préoccupation pour les libertés individuelles ? La vieille idéologie des capitalistes du XIXe siècle selon laquelle les marchés s’équilibrent d’eux-mêmes, tombées en désuétude avec la crise de 1929, régénérée par les tenants de Milton Friedman, Reagan et Thatcher en tête ? Libéralisme politique, économique ou sexuel ? Ils n’ont pas forcément de liens directs, voire ils peuvent s’opposer. L’année dernière, à Tokyo, dans une galerie de Ginza, au cours du vernissage de mon ami peintre Ushio Shinohara, j’expliquais que beaucoup de Français, qu’ils les apprécient ou non, considèrent Nicolas Sarkozy ou Georges Bush comme des libéraux. Etonnement de certaines des personnes présentes, dont des membres du Parti Libéral japonais : « Mais ce sont des conservateurs, pas des libéraux ! » J’ai eu la même réaction à Londres, à New York ou à Berlin.

On pourrait continuer longtemps sur le sujet. Il faudrait évoquer aussi les mots qui ont radicalement changé de sens avec le temps, et qui prennent des colorations pour le moins étonnantes. Ainsi, appeler « pédophile », de manière souvent indistincte et peu hiérarchisée, le prêtre qui se laisse aller à quelques attouchements, le violeur d’enfant, l’assassin d’enfants et le mafieux dirigeant un réseau de prostitution enfantine pour son bénéfice financier, n’est-ce pas un peu contradictoire avec l’origine du mot, qui veut dire comme chacun sait : « qui aime les enfants » ?

Voilà pourquoi les dictionnaires nous sont indispensables : ils nous ramènent au sens originel de mots. Les mots ont une histoire : on peut choisir de l’ignorer, mais les causes ayant souvent des effets, on risque d’en payer les conséquences. Dans les débats ou les groupes de discussion notamment, il est vital de donner dès le départ l’exacte définition du sujet dont on traite. Sinon, on tombe dans un dialogue de sourds qui, s’il peut faire de l’audimat à la télévision, n’apporte rien de nouveau à ses auditeurs. Un moment de détente, peut-être ? De quoi parle-t-on ? Je me pose souvent cette question en écoutant tel ou tel orateur dans les médias ou dans une salle. Nul ne le sait le plus souvent, ni en entrant, ni en sortant. Ce qui n’empêche pas chacun d’avoir un avis sur ce qui s’est dit. Bah ! Tant que les foules ne pensent pas, la démocratie n’est pas en danger : elle s’absente.

Socrate nous a prévenus : la mauvaise utilisation des mots est un grand danger. Les propagandes diverses et variées dont nos sociétés ont été ou sont l’objet nous l’ont appris et nous l’apprennent chaque jour à nos dépens. Quand de tels détournements sémantiques sont effectués volontairement, on assiste à la forme la plus vile de dévalorisation du vocabulaire et de la langue. L’auteur paie le prix d’un texte mal formulé, mais peut aussi faire un grand tort à son lecteur en trichant sur les mots.

Les mots sont trop souvent utilisés comme des écrans de fumée pour voiler des vérités déplaisantes. On rebaptise parfois un « plan de licenciement » en « plan social » ; on parle de « dommages collatéraux » pour des bombardements meurtriers ; on évoque la « valeur travail » pour convaincre des salariés de « travailler plus pour gagner moins », mais on agite le slogan « travailler plus pour gagner plus » afin que nul ne se rende compte de la réalité, puisqu’on travestit les mots pour les rendre inopérants à exprimer sa révolte. Ceux qui n’ont plus les mots disponibles peuvent toujours se révolter : il leur reste la violence.

On regrette le langage directe et robuste de Shakespeare ou de Molière à entendre les platitudes anémiques que nous diffusent nos médias tout puissants. Trop nombreux sont ceux qui ont acquis la faculté fatale d’utiliser les mots qui imitent la pensée plutôt que de la créer et de l’exprimer. On ne saurait trop leur conseiller de suivre le bon conseil de Lord Vansittart, qui intitula son article :

« Pensez clairement, parlez simplement, et assumez ! »

Une grammaire défaillante, des phrases confuses, une verbosité déplacée et une utilisation erronée des mots peuvent rendre inefficace un texte ou un discours par ailleurs réussi aussi sûrement que des vêtements mal coupés et en mauvais état peuvent ruiner une silhouette. Ce sont des maladresses qu’avec un peu de préparation et de réflexion vous pouvez aisément éviter, et je vous invite à vous surveiller tout particulièrement quand le succès vous incitera à baisser la garde et à vous laisser aller. Ne laissez jamais votre niveau exigeant d’écriture ou de parole se détériorer. Souvenez-vous toujours que la parole orale ou écrite est trop puissante, trop dangereuse et trop nécessaire pour être utilisée avec légèreté. Le soin que vous apporterez à vos textes devrait être proportionnel à sa valeur. Goethe plaçait le langage au pinacle de tous les arts humains, et c’est incontestablement le don le plus précieux que nous possédions.

Christian Soleil.


 

 



[1]  Michel Durafour, cité par Christian Soleil, in « Michel Durafour, Le Feu sous la cendre, biographie », éditions Actes Graphiques, 1998.

[2]  D’après Gore Vidal, « Palimpsest, a memoir », Random House, 1995 (traduction Christian Soleil).

Partager cet article
Repost0

commentaires